17 septembre 2010
Depuis 1988, il existe une disposition dans la Loi de l’impôt sur le revenu (L.I.R.) qui fait en sorte que même si un contribuable respecte toutes les dispositions de la loi, il peut être considéré comme s’il en abusait. L’article 245 L.I.R. constitue ce qu’on appelle la règle générale anti-évitement (RGAÉ).
Il est très délicat pour les tribunaux d’appliquer cette règle car une application trop stricte ferait en sorte qu’un contribuable ne pourrait se fier sur une « certitude légale » lors d’une planification fiscale, ayant constamment à craindre que cette disposition viennent tout chambouler.
Rappelons d’abord que cette règle est un règle « anti-évitement » et non « anti-évasion ». Cela signifie qu’un contribuable ne commet rien d’illégal lorsqu’il est assujetti à cette dernière.
Afin d’appliquer cette disposition – la suppression d’un avantage fiscal –, trois conditions doivent être respectées :
Lorsqu’une décision émane de la Cour suprême du Canada, il est important d’en prendre connaissance car elle est d’intérêt public.
Or, en matière de fiscalité, peu de causes sont entendues. La dernière date de janvier 2009 : la cause Lipson. Sans entrer dans les détails, rappelons simplement que cet arrêt était attendu avec une grande impatience de la part des différents intervenants en fiscalité.
Il était question de la déductibilité des intérêts et de l’attribution du revenu à l’auteur d’un transfert à son conjoint. Cet arrêt devait avoir un impact sur les décisions ultérieures des tribunaux en ces matières.
La communauté fiscale a été surprise de constater les résultats de cette décision. Les juges, de façon non unanime (4/7), ont coupé la poire en deux en ne considérant pas abusif la déductibilité des intérêts mais en considérant la réattribution du revenu à l’auteur du transfert comme abusif.
Généralement, un arrêt de la Cour suprême du Canada influe sur toutes les décisions ultérieures des tribunaux d’instance inférieure.
Cependant, dans le cas de Lipson, « peu de poids a été accordé à cette décision par la suite » mentionne Denis Lacroix, notaire, M.Fisc, associé chez KPMG.
« Les tribunaux se sont plutôt retournés vers la cause Trustco Canada qui établissait une approche systématique afin de déterminer les circonstances menant à un abus. La cause Copthorne, récemment portée en appel à la Cour suprême, donne l’espoir du retour d’une telle approche qui a été abandonnée dans la cause Lipson » poursuit M. Lacroix.
Rappelons qu’il incombe au contribuable de démontrer que ses opérations comportent un objet économique véritable alors que c’est au ministre de démontrer qu’il y a eu abus.
Denis Lacroix mentionne que « c’est un sujet de plus en plus chaud car la RGAÉ est souvent invoquée par l’ARC et il importe que les balises soient claires en matière d’abus ».
Un projet de loi fédéral et un autre québécois viennent ajouter une pénalité important aux contribuables effectuant des planifications fiscales abusives. Non seulement les contribuables sont visés mais également les promoteurs de ces stratégies.
« Au fédéral, le nouveau système prévoit l'obligation de divulguer une opération en certaines circonstances. Il existe une pénalité à l'égard du défaut de faire cette divulgation.
Le Québec aussi exige l'obligation de divulguer et prévoit une pénalité pour défaut de divulgation à l'égard de certaines transactions mais les détails sont très différents entre le fédéral et le Québec. Ces pénalités ne sont pas liées à l'application de la RGAÉ mais strictement au défaut de divulgation.
Par ailleurs, le Québec inflige une pénalité automatique additionnelle lorsque la RGAÉ est applicable sauf si le contribuable a divulgué la transaction. Le fédéral ne prévoit pas instaurer une telle pénalité.
L’application de cette nouvelle réglementation est donc hautement incertaine car il se peut qu’une planification faite de bonne foi résulte en l’application de la RGAÉ, ce qui ne respecte pas l’esprit même de cette règle » de conclure M. Lacroix.
Par conséquent, la prudence est de mise. Si votre fiscaliste vous mentionne qu'il a trouvé une brèche dans le système, vous auriez peut-être intérêt à demander un deuxième avis parce que lorsque c’est trop beau pour être vrai... c’est trop beau pour être vrai.